Le point de vue écolo sur la situation difficile des associations
La semaine dernière, dans le cadre du Collectif des Associations Citoyennes, une mobilisation a eu lieu dans toute la France pour interpeller l’opinion et les pouvoirs publics sur la dégradation du partenariat entre les institutions et les associations. Les élu-e-s EELV ont été sollicité-e-s par les organisateurs pour exprimer la position du mouvement à ce sujet.
Majdouline Sbaï, Vice-présidente du Conseil régional en charge de la citoyenneté, des relations internationales et de la coopération décentralisée, exprime ci-dessous le positionnement politique écologiste sur la situation des associations.
Quelle position du mouvement Europe Ecologie Les Verts Nord Pas de Calais sur la mobilisation des associations citoyennes du 14 au 22 septembre 2013
La rigueur budgétaire conduit à des coupes dans les budgets des politiques nationales et dans les dotations aux collectivités locales. Ces réductions impactent les montants de subventions versées aux associations. Le mouvement des associations citoyennes vise à alerter sur cette situation et à créer les conditions d’une refondation positive du partenariat avec les pouvoirs publics.
Après la Révolution Française, des initiatives très nombreuses ont été prises par des citoyens qui souhaitaient se réunir dans des organisations qui mêlaient activités économiques, solidarités et actions politiques : clubs, coopératives, mutuelles et associations … Sous la IIIème République, l’installation progressive du capitalisme industriel entre en contradiction avec ces autres formes d’organisations de la société. Seules les associations caritatives sont alors tolérées. Les lois sur les syndicats, la coopération, les mutuelles et la loi 1901 sur les associations viendront donner un cadre juridique, consolidant le dialogue social entre les mouvements ouvriers, l’Etat et le monde patronal. Jusqu’à la fin des années 70, les associations sont des espaces d’expérimentations qui font naître de nouvelles politiques publiques et qui sont financés par l’Etat dont elles deviennent partenaires dans l’action publique. La décentralisation a entrainé une implication de plus en plus importante des collectivités locales dans la prise de nouvelles compétences et dans le financement d’initiatives citoyennes portées par des associations. Aujourd’hui, dans une période de recul de l’Etat social, ces partenariats sont remis en question.
Quels constats fait-on aujourd’hui ?
1) Les formes d’engagement ont changé et cette phase de transition fragilise le monde associatif
Jacques ION, dans son ouvrage « La fin des militants » publié dans les années 90, expliquait que l’engagement militant avait considérablement changé de nature en quelques années. L’engagement sacerdotal, à temps plein dans une organisation, a été remplacé par des participations ponctuelles et sporadiques à des opérations militantes. Ce phénomène s’est renforcé avec l’ère du numérique et des réseaux sociaux. La cyber militance a envahi l’espace public. Dans une période récente, pour qu’un sujet soit mis à l’agenda politique, une association organisait des débats ou des manifestations. Aujourd’hui, une action ponctuelle, individuelle ou en petits comités (pétition sur facebook, happening, etc…) peut susciter le même effet en quelques clics. C’est la question même de l’action collective, dans la durée, à une échelle locale, qui est remise en question par le non renouvellement des militants dans les organisations « historiques ». Mêmes si 32 millions de Français ont une activité bénévole, les cotisations sont moins importantes.
2) Les politiques menées, depuis 10 ans, créent les conditions d’une marchandisation du monde associatif
En 1986, la France a signé le traité de l’Acte unique européen organisant la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Dans son interprétation la plus libérale, l’acte unique conduit la libéralisation des services publics. Deux étapes marquent une détérioration importante du partenariat entre associations et pouvoirs publics. 1) La RGPP réorganise les services publics et la structure des budgets de l’Etat et de ses services déconcentrés. Le dialogue et la lisibilité financière devient un challenge pour certaines associations partenaires des politiques les plus touchées (culture, jeunesse et sports, ruralité). 2) Le 18 janvier 2010, la circulaire Fillon, constitue une étape déterminante du glissement vers la mise en concurrence des associations, sous couvert de mise en conformité avec le droit européen. Elle a depuis été remise en question. Mais l’esprit de cette circulaire continue d’impacter politiquement la culture des pouvoirs publics. Quelle participation des associations à la construction des politiques publiques si elles deviennent des prestataires en répondant à un appel d’offre ?
3) Depuis 2013, les interventions de l’Etat et des collectivités en direction des associations continuent de régresser avec des conséquences politiques et sociales
Au niveau national, les subventions de l’Etat destinées au monde associatif ont baissé de 30% en 5 ans. Avec une concentration des financements vers les plus grosses associations. Ces baisses ont des conséquences sociales : On estime à 9 000, le nombre d’emplois perdu en 2012 dans le monde associatif. Depuis 2010, c’est 26 000 emplois qui ont été supprimés. Si on se projette dans l’avenir, cette situation sera équivalente en termes de perte d’emploi à la reconversion d’un grand secteur économique. Evidemment les économies d’échelle ne sont pas au rendez vous, puisque le coût des emplois détruits et des disparitions d’associations est plus important que les économies réalisées. Ces baisses ont été compensées par les collectivités locales pour partie. Ainsi, en 2009, des collectivités ont déployé des enveloppes supplémentaires pour soutenir les associations frappées par la suppression de certains programmes d’Etat (par exemple, le conseil régional a accordé 1 millions d’euros supplémentaires à la vie associative). 126 000 personnes travaillent dans le secteur de l’économie solidaire et les associations dans la région Nord-Pas-de-Calais, soit 12% de l’emploi privé. Depuis 2000, c’est 27 000 emplois crées pour 34 000 associations crées. Près de 3000 associations sont créées chaque année. En 2013, malgré les difficultés, l’emploi associatif a cru de 0,5%. Ces chiffres globaux cachent des situations très hétérogènes : Parmi les employeurs, on compte dans la région, 46% d’associations comportant moins de 3 salariés, mais aussi environ 200 associations de plus de 100 salariés. Au niveau national, les 200 associations les plus subventionnées représentent 1% des associations touchent plus de 700 millions d’euros, quand les 90% restantes se partagent 500 millions d’euros.
Que peut-on faire aujourd’hui ?
1) Elargir le débat et réactualiser le « logiciel » sur ce que doit être la place des associations dans la vie publique
Pourquoi réactualiser notre logiciel ? Il serait aisé d’égrainer des lieux communs et des principes généraux sur le rôle essentiel des associations. La crise profonde, que connaissent la démocratie et la société française, nous oblige à aller plus loin. Historiquement, les associations ont été des formes d’organisations alternatives au secteur marchand et aux institutions. Qu’ils s’agissent de rendre des services, d’expérimenter de nouvelles activités économiques et sociales, de lanceurs d’alerte, de contre pouvoirs (…). Elles constituent un espace informel qui nous aide à faire société. Or, aujourd’hui, la France est prise dans des courants contradictoires : 1) Un décrochage profond des citoyens vis-à-vis de l’organisation de la démocratie. Cela se traduit par le vote extrême ou l’abstention. 2) Un Etat social en crise, alors que la France est un des pays où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés en pourcentage du PIB, soit 46%. Cette redistribution n’est pourtant pas efficace car les écarts et les inégalités continuent de s’accroitre. En même temps, la demande des associations, à être reconnues et soutenues dans leurs initiatives, n’est pas satisfaite. Alors interpeller pour que le partage des richesses contribue à faire vivre les actions collectives au service de l’intérêt général ? C’est aussi se demander comment faire pour refonder le contrat social afin que la marche vers la réduction des inégalités reprenne ? C’est, surtout, se demander, à l’heure des nouvelles formes de militance, comment refonder le contrat politique avec les citoyens et les organisations autonomes qu’il crée pour agir dans l’espace public?
2) Refonder le contrat politique avec les citoyens mobilisés
Les écologistes ont toujours été attachés à une réforme profonde de la démocratie. La VIème République, la décentralisation, la démocratie participative, la mixité dans le monde politique (…) sont des principes revendiqués. Dans l’ensemble de ces principes, la volonté est la même : démocratiser la politique et le processus de construction des politiques publiques.
Partant du diagnostic que les problèmes, que rencontre le Monde depuis la fin du XXème siècle, sont de nature inédite, les écologistes ont la conviction que leurs résolutions passent par nouvelles méthodes d’intervention publique à toutes les échelles. Le processus classique de la construction d’une intervention publique est souvent le même. Souvent on conçoit l’action publique en s’appuyant sur de la littérature grise, technique ou scientifique, puis on la met en œuvre. Comme la culture de l’évaluation et la planification stratégique n’est pas encore totalement intégrée, on y agrège, plus tard, un autre mode d’intervention publique visant à innover tout en corrigeant les effets induits ou les zones d’ombres laissées par le premier.
Prenons un exemple concret :
Nous soutenons une agriculture via la politique agricole commune, qui représente 46% du budget de l’Europe. Cette politique représente 55,5 milliards d’euros, dont l’objectif initial était la modernisation des structures agricoles en Europe. Aujourd’hui, on accompagne un modèle de production alimentaire destructeur de l’environnement, réduisant à la pauvreté les petits exploitants au nord comme au sud, ayant un coût sur la santé publique énorme, etc. Dans notre région, 350 000 personnes sont bénéficiaires de l’aide alimentaire. Des acteurs associatifs se mobilisent pour pallier à l’urgence, pour dénoncer l’industrie agro alimentaire ou pour construire une gouvernance alimentaire durable.
Quels enseignements tirer de cet exemple ?
– Il ne s’agit pas de redéployer de nouveaux moyens pour soutenir un nouveau modèle agricole mais il faut changer la répartition actuelle pour qu’elle appuie les initiatives porteuses de solutions.
– Il ne s’agit pas non plus de se contenter, pour se donner bonne conscience, de soutenir à la marge ces initiatives citoyennes de solidarité, de santé ou de consommation responsable, afin qu’elles pallient aux conséquences désastreuses de notre modèle alimentaire. Il s’agit de faire des contrats politiques pour construire des alternatives tout en agissant sur les causes du problème.
– Un des principales écueils de l’action publique, c’est que dans sa mise en œuvre, par l’effet bureaucratique et parfois celui des lobbys, elle s’éloigne de sa finalité politique initiale. Dans le cas présent, que le but premier de l’agriculture à savoir se nourrir a été dévoyé pour ne devenir qu’un enjeu industriel et économique. Pour éviter cet écueil, il faut construire et faire vivre les politiques publiques avec la société civile organisée (associations, syndicats, chercheurs, etc.). Des expériences existent, souvent portées par les associations elles-mêmes pour créer des nouveaux modes de coopérations entre ces univers.
3) Continuer à améliorer le partenariat avec les associations : Pour un contrat politique renouvelé
Pour améliorer le partenariat entre associations et pouvoirs publics, nous considérons qu’il faut que :
– Les politiques publiques doivent être mises en débat avec les partenaires mobilisés, en premier lieu desquels, les associations. Cette mise en débat doit porter sur les fondements comme sur les modalités de mise en œuvre de ces politiques publiques.
– En dehors des cadres déterminés, les associations doivent avoir le droit à l’expérimentation.
– La qualité du partenariat dépend aussi du mode de contractualisation : le maintien du mode « subventions », le rejet de la mise en concurrence des associations, la simplification administrative grâce à la reconnaissance dans la loi « économie sociale et solidaire » de la subvention ou encore des démarches comme les chartes d’engagement réciproque.
– Savoir sortir d’une politique de soutien à la vie associative sédimentaire ou affective. Qui peut, avec le temps, devenir un agrégat de propositions citoyennes, parfois obsolètes ou sans finalité politique partagée. La coopération entre associations mais également avec d’autres acteurs (chercheurs, entrepreneurs, etc.) est un levier pour renouveler certains projets.
– Il y a une alliance à créer entre organisations citoyennes et pouvoirs publics volontaires pour refonder des politiques publiques exemplaires reprenant les principes d’actions énumérées ci-dessus. Au moment où la rigueur budgétaire frappe tous les secteurs de l’action publique, il faut montrer la manière dont associations, pouvoirs publics, par leur alliance, constituent les maillons forts de la mobilisation des citoyens dans la construction de solutions face à la crise.