Séance Plénière du 12 avril 2013 – Intervention de Patrick Tille

Patrick Tille est intervenu à propos de la  motion du Front de Gauche concernant l’ANI.

Cette motion n’a pas été adoptée par l’assemblée. LE PS a voté contre comme le Groupe d’Opposition régionale, le FN a voté pour.

Le groupe EELV s’est abstenu. Patrick Tillie a développé les arguments suivants :

« En premier lieu nous sommes très sensibles  aux préoccupations portées par le front de gauche, et comme lui nous nous interrogeons sur  le contenu  et la portée  de l’ANI puis du projet de loi qui le transpose. De même nous aimerions connaitre les raisons réelles du choix de la procédure accélérée. (Une seule lecture par chambre)

Mais nous  ne pouvons demander « la suspension de la transposition de l’accord professionnel en droit » En effet, le projet de loi le transposant  est voté par l’assemblée depuis mardi.  Par ailleurs, cet accord national interprofessionnel est signé et a déjà à l’égard de ses signataires et des adhérents aux OS  signataires une portée juridique.

Il est vrai aussi que c’était  le dernier accord qui considérait  que la majorité  des signataires est celle des OS légalement représentatives ( c-a-d quelque soit leur poids réel) au niveau national depuis  1948, puis 1966 avec la scission CFTC en 1964 ayant généré la CFDT et la CFTC « maintenue » en 1966. Ainsi, cette majorité est  légale uniquement  parce que 3 OSR sur 5  l’ont signé, la CFDT, la CFTC, la CGC, alors que 2 ont refusé considérant que nous assistions à un recul des droits, la CGT et la FO.

3 contre 2 = la majorité des OSR.

Mais nous avons appris le 1er avril que le Ministère du travail a pour la première fois, et pour une durée de 4 ans mesuré la représentativité au niveau national  et les 5 confédérations qui passent la barre des 8%  d’audience électorale exigés pour négocier les ANI et les accords de branche, sont les mêmes que celles qui ont négocié ce dernier ANI sur la sécurisaiton de l’emploi et la compétitivité.

Ainsi, avec le calcul du Ministère du travail,  la CFDT+CFTC+CGC  = 49.82 %  et la CGT+FO = 48.85%. (Mais ces 3 OSR ne représentaient que  38,7% aux dernières élections prud’homales…)Mais dans l’industrie en crise, la CGT est, de loin,  le syndicat le plus important.

Il est donc difficile de demander une réouverture des négociations dans  le respect du principe majoritaire, puisque cette majorité est la même. Et nous doutons  qu’il en sorte autre chose.

Par ailleurs, nous ne voulons pas   opposer la démocratie sociale et la démocratie politique, même si nous considérons que le regard porté sur cet accord en quelque sorte sanctuarisé est en réalité une défaite sur le plan politique, et un abandon relatif  du pouvoir normatif de la loi, démocratiquement votée.

Sur le fond, sont fondées les  inquiétudes politiques, philosophiques sur le plan de la portée du droit : basculement de la hiérarchie des normes : perte de la prévalence du contrat de travail  au profit d’accords d’entreprise, où les  OS sont les plus faibles. Mais également, perte de la prévalence de la loi,  aux profit de ces accords, alors que c’est la loi qui protège, surtout en période difficile.

Quelles sont les mesures affichées comme des avancées  par les signataires de l’accord et le gouvernement :

–          la généralisation à échéance 2016 de la complémentaire santé  (mais elle  concerne «  seulement 400 000 salariés ». Les mutuelles qui portent le mouvement social de santé s’inquiètent à juste titre devant la perte  de l’universalité du système de protection sociale, et les opérateurs privés sont à l’affut.  4 millions de personnes n’ont pas de couverture complémentaire.

Alors  que le régime de base devient sous financé, les exonérations de cotisations pour de nombreux motifs  privent la SS de cotisations importantes.(4.3 Mds€) . Inquiétude également parce que le coût des cotisations au régime complémentaire santé diminuera les bases salariales de cotisations SS.(2.5 mds€ selon la FNMF). Il n’est pas acquis que l’amendement imposant que les clauses de désignation, seront précédées d’une obligation de mise en concurrence, avec des critères des contrats solidaires et responsables, qu’un décret doit préciser.

–        La portabilité des couvertures santé et prévoyance pour les salariés perdant leur emploi qui est portée à 12 mois.

–        les droits rechargeables à l’assurance chômage,( conservation du reliquat en cas de reprise du travail suivi d’une nouvelle rupture),  un  compte personnel de formation transférable. Encore faut il que l’accord collectif le retienne dans la négociation.

–     La taxation des CDD de moins de trois mois, mais qui devra faire l’objet d’un avenant par les partenaires sociaux à l’UNEDIC, et qui, au vu des enjeux du combat contre la précarité organisée du travail semble un coup d’épée dans l’eau.

De plus, nous sommes critiques  sur les nouvelles dispositions sur le temps partiel, qui permet, par avenant, et dans la limite de 8 avenants par an de faire faire des heures complémentaires sans majoration de salaires et qui organise la flexibilité horaire. Avant la loi, le salarié bénéficiait d’une majoration de salaires de 25% au-delà d’un temps de travail de plus de 10%. Aujourd’hui c’est fini avec de tels avenants qui flexibilisent la durée du travail à temps partiel sans contrepartie pour le salarié.

La mobilité interne dans le cadre d’une négociation triennale, devient une mobilité forcée, puisque, en cas de refus, le salarié est licencié pour motif économique individuel, ceci, quelque soit le nombre de refus dans l’entreprise, et sans plan social. Même si sur ce point, l’assemblée nationale a imposé qu’il soit tenu compte de la vie personnelle et familiale du salarié, ou de sa situation de handicap, et ajouté que le droit au reclassement et à l’accompagnement s’appliquait au salarié ainsi licencié.

Le plus grave est la stratégie importante d’évitement du juge judiciaire (le TGI et le conseil des prud’hommes à qui il ne restera pas grand chose à juger alors qu’il est le juge naturel du contrat de travail) au profit de l’administration du travail  (pourtant si longtemps décriée par les patrons, qui n’ont pas à intervenir dans la gestion des entreprises !)  et au profit d’un contrôle par le juge administratif. Est-il bien normal que les partenaires sociaux (sur demande du MEDEF) puissent choisir leur juge ou mieux choisir de contourner le juge naturel du contrat de travail et des entreprises ?

Il est assez  incroyable que l’accord ait prévu que le juge administratif serait le juge du contrôle du PSE résultant d’une décision unilatérale de l’employeur contrôlé  par l’administration, alors que ceci n’entre nullement dans la compétence des organisations syndicales patronales ou syndicales.

Mais la loi votée à l’AN a ajouté que le PSE  résultant d’un accord  (majoritaire) est, lui aussi, soumis à l’homologation administrative.(  dans un délai  de 15 jours et non de 8)

Comme l’a dit un député du front de gauche « : c’est désormais par accord d’entreprise que le contenu de ces plans sociaux pourra être fixé. De plus, il sera dorénavant impossible de contester le motif économique du plan social. En effet, la prétendue homologation ou validation administrative ne viendra sanctionner que le respect des termes de l’accord d’entreprise, et non l’existence d’un réel motif économique du licenciement »

De plus, comme si  pouvoir sait que les juridictions administratives, ne sont pas efficaces, et  jugent des actes de l’administration, pas ceux des partenaires sociaux,  et sait  derrière qui désormais se cachent les entreprises, il est prévu que,  si le TA ne statue pas dans les trois mois, la CAA est saisie, si la CAA ne statue pas dans les trois mois, le CE est saisi !

Nous doutons que les règles européennes ne balaient pas un tel montage.

L’objectif est clairement d’assécher tout contentieux.

Il ne faut pas oublier que c’est la droite qui a, le 3 janvier 1975 institué l’autorisation administrative de licenciement,(premier gvt Chirac) et qui, sur pression du CNPF qui criait haut et fort que l’immixtion de l’Etat dans la gestion des entreprises est  intolérable l’a supprimée en 1986.(2éme gvt Chirac) au motif qu’elle décourage l’embauche.

Il reste à espérer que le contrôle préventif de la DIRECCTE   sur le contenu des PSE soit réel et utile pour le droit à l’emploi, auquel cas il faudra s’attendre à une demande du MEDEF pour que soit supprimé ce contrôle…

C’est la réduction des délais de prescription  qui  nous apparait  particulièrement grave  : les actions portant sur l’exécution  ou la rupture du contrat sont réduites à deux ans… et 3 ans pour les actions en rappel de salaires.

La prescription était de 30  ans pour certaines indemnités,( ex : indemnité de licenciement)  elle est passée à 5 ans en  2008,  pour finir à deux à 2 ans.

Outre qu’on voit mal le rapport entre la compétitivité des entreprises et la sécurisation de l’emploi et cette disposition, celle-ci  est affligeante et  nuit aux plus faibles d’être nous, ceux qui connaissent peu leurs droits ou craquent lors de la rupture de leur contrat. Ou plus simplement qui agissent après leur licenciement ou démission parce qu’ils se sont tus longtemps pour garder leur travail ou ont découvert tardivement qu’ils avaient droit à une prime d’ancienneté ou à un treizième mois, ou à une classification conventionnelle.

Ce n’est plus une prescription mais une amnistie pour les entreprises qui piétinent le droit. Telles sont notamment, si l’on reprend les explications de vote, les raisons de l’abstention d’EELV mais aussi du mouvement de Benoit Hamon qui fait que sur 554 votants, 279 exprimés, 26 contre, mais 278 abstentions dont EELV et 35 PS + 6 contre.

Il faut donc écouter un peu plus le monde du travail au Sénat. Nous croyons savoir que même certains signataires de l’accord regrettent d’avoir accepté cette disposition totalement  dérogatoire au droit commun. Un locataire peut se voir réclamer des loyers sur 5 ans, mais il ne peut réclamer son du à une entreprise que sur 2 ou 3 ans…

Nous souhaitons qu’au Sénat, nos élus continueront à  porter des améliorations en faveur des salariés et des précaires, à amender nécessairement un texte trop déséquilibré et insuffisamment sécurisant pour les salariés les plus fragilisés par la crise

Voilà pourquoi, plus que jamais, nos élus nationaux ne doivent pas défaire ce que l’histoire sociale  a construit patiemment.

Nous nous abstiendrons donc sur la  motion du front de gauche pour les raisons exposées mais voulions montrer que nous partageons leur craintes ou leur analyse sur de nombreux points. »

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