« Régionalisation, Décentralisation : regards croisés sur une réalité plurielle »

 

Co-produire et progresser ensemble. C’était le but des trois journées organisées par le  Conseil régional Nord – Pas de Calais à la mi-décembre : un séminaire de travail sur le thème de la régionalisation et de la décentralisation, auxquels ont participé l’ensemble des partenaires de coopération du Nord – Pas de Calais : Régions de Kayes (Mali), de Saint-Louis et de Matam (Sénégal), de Doukkala Abda (Maroc), d’Analanjirofo (Madagascar), l’Etat du Minas Gerais (Brésil), la Voivodie de Silésie (Pologne) et le Land de Rhénanie Nord-Westphalie (Allemagne).

Toutes les régions coopérant avec le Nord – Pas de Calais ont répondu « présent » : belle réussite pour la Vice Présidente (Citoyenneté, Coopération décentralisée et  Relations internationales), Majdouline Sbaï qui est à l’origine du projet.

Ce séminaire avait deux objectifs :

1-  réfléchir collectivement à l’échelon territorial du développement

2- confronter les différents modèles juridiques, les bonnes pratiques, dans un but de renforcement du rôle des gouvernements locaux afin d’ouvrir des pistes d’actions communes.

Dans un premier temps chaque intervenant est revenu sur  l’historique de la décentralisation dans son pays : Länder, Régions, Etat fédéral et a expliqué comment fonctionne le système actuellement.

Ont été évoqués : les relations entre l’Etat et l’échelon régional et fédéral, les moyens et les outils de la gouvernance territoriale, l’ingénierie territoriale, la gestion des ressources humaines, l’aménagement et le développement territorial, les ressources financières et les perspectives pour la coopération décentralisée comme enjeu de développement local.

Au terme de ces trois journées de travail, chaque délégation a fait un rapide bilan des informations et réflexions qui se dégagent :

–          A Madagascar qui traverse une longue période de crise politique, la décentralisation pourrait soutenir les potentialités territoriales. Le développement  économique, s’il est essentiel à la base, doit être accompagné d’un développement culturel et également social.

–          La région de DoukkalaAbda au Maroc estime que la régionalisation a bien avancé depuis la constitution de 2011. Elle recherche de l’aide juridique pour l’établissement de nouvelles dispositions pour faire vivre la démocratie régionale.

–          La région de Matam au Sénégal souhaite échanger avec d’autres régions, faire du « réseautage », valoriser les compétences des régions. Autre région sénégalaise : Saint-Louis, qui tire des enseignements : le développement ne se décrète pas, mais se construit ; les régions ont besoin d’autonomie et de ressources pour avancer, la coopération décentralisée évolue vers une stratégie (renforcement des capacités des acteurs, appel à la formation …) et lance un message aux Etats : « faites confiance aux régions ».

–          Avec ses Länder allemands, la Rhénanie du Nord Westphalie se sent à l’aise pour aider d’autres régions par son expertise.

–          La Silésie de Pologne insiste sur la nécessité pour les échelons régionaux d’avoir des moyens financiers suffisants.

–          La région de Kaynes au Mali, souhaite construire un réseau d’échanges afin de développer ensemble des projets avec des opérateurs économiques venant des autres pays présents au séminaire

–          Au Brésil, on image les choses : «changer le pneu avec le véhicule en marche ». Il ne s’agit pas de transférer des compétences mais également d’augmenter les responsabilités et d’accorder une autonomie financière. En 2003 l’Etat du Minas Gerais était surendetté, 10 ans plus tard il est noté AAA… grâce notamment à de nouveaux processus d’achats publics… Dans cet Etat, le tourisme doit se développer de façon durable, la production de café doit aider au développement local et les mines contribuer à développer de la richesse pour tous.

La bonne surprise : une coopération qui en amène une autre…

Ils sont rapides : les délégations marocaines (DoukkalaAbda) et sénégalaises (Saint-Louis et Matam), avant la fin des trois journées du séminaire, ont annoncé qu’elles souhaitent conclure un accord.

Youssef Zahidi, commissaire de relations internationales et de la coopération au Conseil régional de la Région de DoukkalaAbda nous explique pourquoi il a fait cette proposition à un « pays frère ».

« Nous sommes parmi les pays en voie de développement et d’émergence, nous avons besoin de voir ce que font nos voisins et comment s’installe la démocratie chez eux, comment ils travaillent sur le développement local.

Nous souhaitons nous rapprocher du Sénégal qui est la porte de l’Afrique. Nous avons apprendre d’eux car on observe déjà des similitudes entre nous sur  le plan religieux et économique.

Ce séminaire qui parle de la décentralisation, de l’avancement démocratique, des collectivités locales, du développement des collectivités territoriales, de la pratique de la participation, c’est très important, de plus,  se retrouver avec des partenaires que nous ne connaissons pas de près, nous pousse à se rapprocher d’eux et à travailler ensemble notamment sur les plans de développement local, et aussi créer un réseau associatif qui peut rapprocher les populations des régions concernées.

Le plus important de tout cela c’est que nous n’avions pas une culture de coopération, mais c’est à travers  cette collaboration avec la région Nord – Pas de Calais que nous avons compris  que nous pouvons faire quelque chose entre nos institutions et cela est très satisfaisant ».    

     

Le représentant de la région de Matam, Wagui Sidy, Conseiller régional  s’explique sur cette nouvelle coopération avec une des 16 régions marocaines :

 

« C’est bénéfique. J’ai été agréablement surpris d’avoir la proposition de mon collègue du Maroc. Ce qui se passe entre le Maroc et le Sénégal est déjà une question d’histoire : le Maroc est le seul pays au monde ou un sénégalais peut travailler sans carte de séjour, et vice et versa, cela remonte au Président Léopold Sédar Senghor premier président de la République du Sénégal (19601980) et le roi Mohamed V… On s’y implante régulièrement sans aucun problème et vice versa.

Nous allons nous enrichir les uns des autres. Le Maroc est plus développé que nous et en matière de décentralisation, nous avons notre propre expertise. On va faire des échanges, éviter les mauvaises expériences des uns et des autres.

Ce séminaire nous a permis de connaître d’autres expériences, de nous situer par rapport à d’autres niveaux de décentralisation, de voir où nous en sommes et le chemin qui nous reste à parcourir.

Parallèlement cela raffermit les accords que nous avons avec la région de Lille ».

 


Majdouline Sbaï  a conclu ces journées en disant que la Région est le bon échelon :

– pour développer les ressources locales du territoire

– pour monter en capacité les élus, qu’ils soient davantage des acteurs (dispositif de participation pour organiser et encourager la société civile à être active et ne pas subir des décisions extérieures

– pour le dialogue avec l’état et les autres instances

Les travaux ont confirmé des envies communes d’approfondir et de développer la régionalisation dans un contexte de développement durable, de renforcer la capacité d’agir pour se développer, d’étendre le rôle des régions et de développer la coopération « sud-sud ».

La Vice-Présidente a proposé de signer un engagement ou une déclaration commune établissant ces éléments. Cela pourrait se faire en 2013, et peut-être au Brésil puisque toutes les délégations sont invitées au forum pluri acteurs de la coopération décentralisée franco-brésilienne au Brésil.


Interview de Majdouline Sbaï.  L’objectif de ces journées est-il atteint ?

 

« L’objectif que nous poursuivions en réunissant toutes nos régions de coopération était de    faire en sorte qu’elle puissent se connaître, qu’elles puissent échanger sur les enjeux de leurs différents territoires. Egalement de travailler ensemble sur les enjeux de décentralisation  et de régionalisation, ainsi que la manière dont les régions pourraient dans l’avenir jouer davantage jouer un rôle important en matière de développement durable et aussi de lutte contre les inégalités entre le Nord et le Sud, et contre les inégalités à l’intérieur d’un même territoire. »

De nouvelles pistes de travail en commun

«Il y a trois choses sur les quelles nous souhaitons travailler :

1 – continuer à échanger et à réfléchir collectivement à partir des différentes réalités de chacun des pays : comment on fait de la démocratie participative en Allemagne, au Mali ou au Sénégal… Il est très intéressant de confronter ces différents points de vue.

Durant ce séminaire de travail nous avons évoqué la décentralisation au service du développement local, ultérieurement nous pourrons discuter d’autres sujets.

2 – développer des projets communs à travers la constitution d’un réseau inter régional international : les 8 régions concernées autour de la région Nord – Pas de Calais, animatrice de ce réseau. De cette instance pourront naître de nouveaux projets communs inter régionaux comme ceux qui existent déjà : Mozaïques des aires protégées*, projet qui nous permet de travailler sur l’enjeu de la valorisation de la biodiversité au Brésil, en France, et dans d’autres régions du monde y compris en Afrique, ou encore le programme Fleuve**, un programme transfrontalier en Afrique avec nos régions partenaires du Mali et du Sénégal.

Nous souhaitons multiplier ce type de projets riches dans leur contenu et qui  permettent de lever des financements européens et nationaux au niveau du ministère des affaires étrangères.

3 – témoigner ensemble de l’importance de la coopération décentralisée et du rôle des régions en matière de développement local durable. Nous souhaitons le faire par une déclaration commune des régions partenaires, dans laquelle nous affirmerons qu’ensemble nous défendons la décentralisation et la régionalisation comme un vrai levier du développement au Nord comme au Sud. Cette déclaration pourrait être signée au Brésil en 2013 lors du forum pluri acteurs de la coopération décentralisée franco-brésilienne auquel nous inviterons nos partenaires africains et européens. »

Décentralisation ici et ailleurs : le système français est-il plus compliqué ?

« Le système français n’est pas forcément plus compliqué mais plus incohérent… De fait, quand on regarde l’architecture des différents niveaux de collectivité et leurs organismes associés, cela peut paraître assez complexe, mais on peut comprendre en gros quelles sont les compétences de chacun.

Par contre ce n’est pas très cohérent si l’on veut être efficace en matière de développement territorial ou par rapport à l’évolution des politiques nationales et européennes, voire par rapport aux enjeux internationaux.

Personnellement je suis assez partisane d’une vraie réforme des collectivités territoriales dans l’acte 3 de la décentralisation avec un échelon régional unique, avec une assemblée régionale bi camérale : une chambre qui représente les territoires, et une chambre élue sur un scrutin de liste qui défende l’intérêt régional.

Je suis pour le renforcement des agglomérations, des communautés de commune avec des grandes aires de développement, même chose pour les stratégies de développement transfrontalier, et avoir des aires de développement cohérentes animées à bonne échelle : les pays, les conseils de développement pour la démocratie locale et puis une région qui a ce rôle d’animateur et d’aménageur du territoire avec le maximum de politiques déléguées et des compétences régaliennes qui restent à l’état, mais avec cet enjeu de l’égalité des territoires, d’équité de la péréquation, comme étant des éléments fondamentaux.

Je suis pour une diplomatie des régions : il faut avoir des instances politiques et représentatives les plus proches des gens et les Régions en sont.

Nous avons deux difficultés actuellement : nos schémas ne sont pas opposables et nos moyens régionaux insuffisants pour de grands projets.

Je pense aussi que la réforme entamée par l’Alsace est exemplaire : la fusion de deux départements : le Bas et le Haut Rhin. Ce rapprochement a permis de dégager 20% d’économies et donc des capacités d’initiatives.

Ce type de fusion n’empêchera pas qu’il faudra à l’avenir des moyens supplémentaires pour les régions et c’est bien pour cela qu’on soit autorité de gestion des fonds européens… »

 

*Mosaïques d’aires protégées  – informations ici-

**Programme Fleuve informations ici-

 

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